AVEC ALAIN BAUGUIL
THEÂTRE DU FENOUILLET
SAINT-GERVAIS-SUR-ROUBION (Drôme)
27/01/2018 : Ennemonde, de Jean Giono
Alain Bauguil interprète, joue la chronique gionienne ! Il accomplit cette performance de "diseur" depuis... mais qu'importe le temps !
Le Théâtre du Fenouillet ? Au bout des chemins. On vous accueille dès le parking. La scène ? Un large carré face à des gradins incurvés. Alain Bauguil, au seuil, un bâton à la main, lance la première phrase : "Les routes font prudemment le tour du Haut-Pays." Et voilà, bienvenue chez Giono. Le Giono de la sapience, celui chez qui le savoir-écrire se fond dans la saveur de raconter quelque histoire. La voix du comédien, instrumentale, s'adonne à la partition cadencée d'un écrivain qui connaît "la chanson" puisqu'il l'invente à chaque ligne.
Ennemonde ? La chronique d'une femme qui travaille à son propre bonheur dans une chronologie violente, dans un territoire vacillant entre des plateaux pétrés, des vallons célestes et des forêts marines. Si la toponymie du récit énonce des lieux authentiques, la géographie adopte des dimensions à la mesure des personnages et à la démesure de leur auteur. Une heure et demie durant, Alain Bauguil entraîne vers des sommets de jalousie, sur des sentes de haine ou au milieu de carrefours des luttes et des passions humaines. Il nous dit combien la langue est belle, combien Giono nous surprendra encore et toujours, combien la force du comédien réside dans la fragilité mise dans la voix. Jusqu'au terme : "Oui, le printemps va venir."
Alain Bauguil pendant neuf ans (1975 -1984) dirigea la Maison de la Culture de Firminy, le bâtiment imaginé par Le Corbusier. Une époque de projets, de réalisations au bout de laquelle il quitte le cercle culturo-politique et retrouve son âme de comédien, seul. Sans troupe, sans compagnie comme auparavant, à Lyon, de 1965 à 1975, du temps où il montait avec la joyeuse bande du Tournemire, du côté du théâtre du Point du jour, des pièces impertinentes (Les Pieds Nickelés, d'après Forton) ou des drames en plein air (Barrabas, de Michel de Ghelderode).
A Saint-Gervais-sur-Roubion, en 1984, il recommence. En bifurcations, en choix à saisir, son existence est généreuse. L'adolescent espérant devenir pilote de ligne, en Algérie, durant la guerre du même nom, il deviendra contrôleur du ciel. Rétroviseur, le récit autobiographique qu'il dit sur scène, rapporte le souvenir d'un atterrisage nocturne, lui dans la tour, guidant un pilote perdu dans l'obscurité du ciel. Ce diseur de Cendrars, Giono et Maupassant jouera au cinéma : on le voit dans Le Hussard sur le toit de Rappeneau, on l'aperçoit dans Le juge Fayard d'Yves Boisset, Claude Chabrol le prend dans La fille coupée en deux. Il tisse une complicité amicale avec Victor Lanoux qui apprécie de le retrouver pour jouer dans Louis la Brocante et le Commissaire Laviolette. Le cinéma ? Des cachets souvent pour aménager et agrandir le Fenouillet.
Le théâtre du Fenouillet est son refuge, son atelier d'acteur. Il deviendra un toit pour d'autres acteurs. Ici, avant tout, on vient oeuvrer. Le lieu se veut une résidence pour imaginer, répéter, monter des spectacles. Certes, une programmation ponctue les semaines et les saisons. Bien sûr, des ateliers pour grands et petits s'ouvrent pendant des vacances ou des samedimanches. Mais place aux tréteaux, place aux créations qui naissent ici pour grandir ailleurs. "Ici, on travaille à l'ancienne, dit Alain Bauguil, comme les copiaus."